Mon premier UTMB

1er septembre 2023, 18h : Conquest of Paradise de Vangelis se termine et le départ est lancé. Les coureurs s'élancent dans les rues de Chamonix à toute vitesse sous les applaudissements des spectateurs. Nous, on filme et on prend des photos, émerveillés par ce moment magique. Aussitôt la masse de coureurs disparue, on s'empresse d'aller prendre un train pour se rendre le plus rapidement possible à Saint-Gervais-les-Bains, premier gros ravitaillement de la course. On arrive à la gare, on file à notre hôtel pour se changer, puis on repart à la course afin de remonter au centre-ville. On arrive au centre-ville de Saint-Gervais environ 2h30 après le départ de la course. Les premiers coureurs sont déjà passés au ravito et sont maintenant en direction des Contamines.

Ce soir-là, je m'en souviens comme si c'était hier, ça a été le moment où j'ai su que je voulais participer à l'UTMB. C'est ce soir-là que je me suis mis à faire mes recherches pour savoir ce qu'il me fallait pour pouvoir participer à cette course mythique. J'ai compris que je devais amasser des « running stones », soit des points pour avoir une chance d'être sélectionné pour les finales de l'UTMB. En surfant sur le web, je suis tombé sur la page de The Canyons Endurance Runs, une course avec plusieurs distances dont un 100 km qui permettait d'amasser des stones et de se qualifier pour l'UTMB. Sans trop réfléchir, environ 4 heures après le départ de l'UTMB, me voilà qui m'inscris à ma toute première course de 100 km dans l'espoir qu'un jour je sois sélectionné pour participer à ma course de rêve.

16 janvier 2025, 4h38 du matin : « C'est avec une immense joie que nous vous annonçons votre sélection pour la course : UTMB ». Je n'en reviens tout simplement pas. Après seulement une participation au tirage, me voilà sélectionné pour une course dont je rêve depuis environ un an et demi. Je suis aussi heureux qu'un enfant qui apprend qu'il s'en va en vacances à Walt Disney. L'UTMB, c'est pour plusieurs traileurs une course de rêve. C'est également une course qui en effraie plus d'un. Avec ses 176 km et ses 10 000 mètres de dénivelé positif à compléter en 46h30, elle se qualifie comme une des courses les plus difficiles au monde. Ayant débuté ma carrière de coureur en trail en octobre 2022, d'être sélectionné pour l'UTMB environ deux ans plus tard me faisait quand même peur, pratiquement autant que j'étais excité d'y participer. C'est une course qu'on veut réussir, premièrement pour la fierté d'être allé jusqu'au bout, mais aussi pour pouvoir se dire qu'on est capable d'accomplir de grandes choses. Sans plus attendre, 30 minutes après avoir reçu le courriel du tirage, me voilà sur mon tapis roulant. Mon entraînement pour l'UTMB commençait !

Saut dans le temps de 2 ans

29 août 2025, 18h : Conquest of Paradise de Vangelis se termine et me voilà lancé. Je cours parmi les spectateurs et j'essaie de profiter au maximum du moment afin de m'en rappeler à jamais. J'en profite pour prendre quelques photos et vidéos pour pouvoir me remémorer ce moment plus tard. Mes jambes se sentent fortes, ma tête est prête à affronter la distance, je cours enfin l'UTMB ! L'excitation est à son comble, j'essaie de me contrôler pour ne pas courir trop vite, pour rester dans ma zone afin de me garder du jus pour tout ce qui s'en vient. Ce n'est toutefois pas évident de se ralentir avec cette ambiance. Les rues de Chamonix sont bondées de gens, tous là pour venir encourager les coureurs.

Quelques minutes après le départ, voilà que les nuages gris qui survolaient la ville laissent tomber leurs précipitations. Courir sous la pluie, ça ne me dérange pas, même que la plupart du temps j'adore ça. Je trouve ça plutôt relaxant et ça a l'avantage de me refroidir, moi qui ai souvent tendance à surchauffer, surtout durant mes courses d'été. Ma course de Chamonix jusqu'aux Houches s'est faite sans trop de difficulté. J'ai avancé aisément, porté par les applaudissements des spectateurs. Peu de temps après le ravito des Houches, le col de Voza a été la première grosse montée de la course. Ça a été une montée lente, sans trop de technicité, soutenu par mes bâtons et les cris des gens sur le bord des sentiers qui hurlaient « Go Guillaume » en voyant mon dossard de coureur.

Quelques minutes avant le coucher du soleil dans la montée du col de Voza

Rendu au sommet du col, le soleil avait disparu pour laisser place à une noirceur froide. Il pleuvait encore et les sentiers commençaient à être de plus en plus glissants. La descente vers Saint-Gervais se faisait par des pistes de ski plutôt raides. La prudence était de mise vu la pluie et la boue qui rendaient les pentes plus difficiles à dévaler. Je suis arrivé au ravito de Saint-Gervais après 3h29 de course, 23 km et 1121 m de dénivelé. J'ai fait le plein de nourriture, rempli mes gourdes, puis j'ai filé direction les Contamines. En sortant de Saint-Gervais, j'ai croisé mes parents qui s'étaient déplacés pour m'encourager. De voir des proches durant une course, ça nous donne toujours un petit kick d'énergie.

La section entre Saint-Gervais et les Contamines est assez roulante. Un faux plat montant avec des parties où il est possible de relancer dans les descentes. Mes jambes étaient encore fraîches à cette partie et j'avançais sans problème.

Arrivée au ravito des Contamines

C'est le premier ravito assisté et c'est là que j'y retrouve ma copine qui fait partie de mon crew. J'entre sous la tente, je la cherche parmi tous les coureurs et leurs équipes et finalement je l'aperçois. On change mes gourdes, on remplit mes poches de gels et de compotes, je mange trois ou quatre Oreo. Je prends le temps de changer de bas et de chandail pour repartir plus chaudement vers la nuit glaciale qui s'annonce. En retirant mes bas, j'examine mes pieds pour m'assurer qu'aucune ampoule ne s'est formée. Tout est beau. Je prends tout de même le temps de crémer mes pieds pour m'éviter tout frottement. Je repars ensuite en courant d'un pace tranquille.

On a quelques kilomètres à faire avant d'arriver au col du Bonhomme. J'ai fait cette distance en alternant course et marche. La pluie commençait à me drainer de l'énergie. L'averse ne s'était pas calmée depuis le début de la course, et avec la tombée de la nuit, la température s'était même grandement refroidie. Avant d'entamer la montée du col du Bonhomme, on passe par la zone Hoka avec les fameux cercles de couleurs.

On arrive ensuite à Notre-Dame-de-la-Gorge où, à chaque année, c'est un vrai party à ciel ouvert, un peu comme lors du Tour de France. Quand j'y suis arrivé, il y avait encore quelques fêtards, mais beaucoup moins que pour les premiers coureurs, comme sur les vidéos que j'ai vues par la suite. Avec la pluie, les gens préféraient se mettre à l'abri.

La montée du col du Bonhomme m'a pris environ 1h30. Je talonnais un grand gaillard qui montait à un rythme soutenu qui me convenait. Je suis tombé en mode autopilote, en restant fixé sur ses jambes et en suivant ses pas. Rendu au 42e km, environ aux trois quarts de la montée, des bénévoles nous ont arrêtés pour nous obliger à mettre nos pantalons imperméables. Un blizzard s'était créé au sommet de la montagne et pour continuer, on devait s'équiper de notre kit de froid. Heureusement que j'avais tout le matériel conforme. Un autre coureur avait oublié ses pantalons et a dû rebrousser chemin… Rendu au sommet, il y avait bel et bien un blizzard. Les températures avoisinaient le point de congélation et les sentiers étaient entourés de neige.

Rendu au refuge de la Croix-du-Bonhomme, on entamait une descente jusqu'aux Chapieux. La descente consistait à 900 m de dénivelé négatif sur 5 km de pistes boueuses où j'ai perdu pied au moins trois fois. Courir dans la bouette, j'haïs royalement ça. Je perds de l'énergie à rester en équilibre, je n'avance pas comme je veux et je risque constamment de chuter. Je crois que c'est à ce moment que j'ai commencé à trouver la course difficile.

Rendu aux Chapieux, je n'avais pas très faim. Je me suis forcé à manger un peu, j'ai recrémé mes pieds, puis je suis parti. Je me lançais sur le sentier qui allait me mener jusqu'au col de la Seigne, porte d'entrée vers l'Italie. Cette section a été difficile mentalement et physiquement. Je n'ai pratiquement pas couru, premièrement à cause de la fatigue qui s'était installée et deuxièmement, à cause des sentiers glissants. La montée m'a pris environ 3 heures et demie pour environ 11 km.

Montée du col de la Seigne

Entrée en Italie dans la vallée d’Aoste

Rendu à ce point, le facteur qui me limitait le plus était l'irritation qui s'était installée au niveau de mon pli interfessier. À un certain point, j'étais tellement irrité que j'avais de la difficulté à marcher. J'ai eu à m'arrêter pour mettre de la crème antifrottement. Ce n'était pas élégant à voir, moi qui me crème la raie sur le bord d'un sentier à proximité d'une dizaine de coureurs. Je croyais que ça allait m'aider, mais ça n'a absolument rien changé. J'avançais si lentement que j'avais peur pour les barrières horaires. Une fois au sommet, ma décision était pas mal prise : j'allais me rendre jusqu'au ravito du lac Combal et j'allais arrêter ma course là.

La descente a donc été pénible. J'avais mal à la peau, mal aux jambes, j'avais froid et j'avais mal à l'ego. J'avais du mal à accepter que je devais m'arrêter là. J'essayais de me raisonner, mais rien n'y faisait, il me semblait plus logique d'arrêter que de continuer car je n'avais plus de fun et je ne voyais pas ma situation s'améliorer. Ce n'était pas juste un mal de ventre qui aurait pu passer après une pause de nutrition. C'était ma peau qui s'irritait pas après pas et qui ne faisait que me ralentir. Rendu au lac Combal, j'ai donc dit à un bénévole que j'arrêtais. Je me suis couché sur un lit avec une couverture pour me réchauffer, puis on m'a transporté en navette jusqu'à Courmayeur avec cinq autres coureurs, tous dans une condition similaire à la mienne.

Ravito du lac Combal

Arrivé à Courmayeur, j'ai retrouvé ma copine et mes parents. C'est ainsi que s'est terminé mon premier UTMB. J'ai arrêté après 70 km et 4 000 m de dénivelé. J'ai arrêté à la même place que le grand François D'Haene (j'espère que lui se dit qu'il a arrêté à la même place que Gui Dage haha). Bref, ça m'a fait mal au cœur de prendre cette décision, mais parfois on doit peser les pour et les contre de continuer. Il faut se rappeler de notre « why » et avancer en fonction de tout ça. Ça ne fait que trois ans que je cours en trail, je me considère chanceux d'avoir pu participer à cette course après une seule tentative. Je me dis que j'aurai d'autres chances de retourner sur ces sentiers et lorsque j'y remettrai les pieds, vous pouvez être sûrs que je vais avoir pris toutes les mesures qu'il faut pour compléter la distance.

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